Le Livre de mon fils

IV  

 

Je t'ai porté dans l'aventure de la Grâce.

Tu venais de naître. Tu reposais dans ton berceau, les yeux encore fermés. Un prêtre est venu. Il a versé sur ton front un peu d'eau en prononçant quelques paroles : tu es devenu fils de Dieu.

Tu étais à peine né, et je t'avais précipité dans l'aventure de la Grâce.

Un Dieu était mort pour toi : tu étais lié à ce drame.

O mon fils, il y eut d'abord la création des anges.

Chaque pensée de Dieu était un être, chacune de ses sollicitudes pour cette création matérielle qu'Il n'avait pas encore sorti du chaos. Et chacune de ces pensées étaient un reflet de Sa perfection et Dieu voyait sans cesse chanter devant Lui la multitude de Ses vertus. O premiers nés de la Création. Esprits, reflets des Vertus qui du néant vous sortit, vous chantiez déjà l'infinie perfection des Trois lorsque Dieu créa du même néant la matière. Vous étiez les miroirs de sa beauté, les bienveillances de sa miséricorde et la sagesse créée jouant devant Dieu reflétait l'incréée Sagesse.

Et Dieu créa la Matière. Il la fit vivante. Peu à peu des rocs les plantes montèrent, et elles palpitaient dans l'air. C'était un monde silencieux. Les palmes balançant mollement sur la lune, sans bruit comme se balancent au fond des eaux les algues. Elles respiraient. Il n'était de vie que cette terre immensément respirante de mille branches levées. Soudain un cri d'oiseau perça et fusent de toutes parts des chants, des soupirs, des cris. Les daims sautaient sur les collines, des troupeaux de bisons couraient au travers des plaines et sur les eaux le dauphin dansait avec un grand éclaboussement sonore.

Et Dieu qui avait créé les esprits, qui avait créé la matière, voulut les unir. Il voulut jusque dans la matière imprimer Sa marque : il créa l'homme. Et dans l'homme était un esprit à l'image de Dieu, mais l'homme avait un corps tiré de la terre : il était matière. Désormais la création montait jusqu'à Dieu sans rupture, et l'esprit entraînait la matière. La création toute entière jouait devant Dieu, elle chantait Sa louange. Il y mirait Sa perfection.

Mais Dieu dans sa miséricorde ne trouva pas suffisant d'accorder à sa création un reflet de sa splendeur : Il voulut la hausser jusqu'à Lui, la déifier. Et dans son éternité il permit qu'Adam se révoltât contre Lui. À peine doué d'une âme et dégagé de la création animale par le don immensément gratuit de Dieu, Adam se dressa contre Lui. Il voulait s'égaler à Son infini. Luxe ridicule, révolte de pygmée : nous la recommençons tous les jours. Mais Dieu réalisa le vœu insensé d'Adam. Il lui permit de s'élever par sa chute même, et plus haut qu'il n'avait jamais été. Ce fut toute l'aventure de la Grâce. O felix culpa ! Tu devais nous valoir le Rédempteur.

Dieu pour relever Adam et le porter jusqu'à Lui-même envoya son Verbe dans le monde. L'Esprit couvrit de son ombre une Vierge : elle germa un homme qui était un Dieu. Il s'appelait Jésus, et il était venu en Galilée. Je te reparlerai de sa vie, mon fils, et de sa mort parmi les voleurs et les scélérats. Jusqu'où le Fils de Dieu ne s'est-il pas abaissé. Nous l'avons cloué sur une potence. Il fut notre risée, notre jouet, et Lui se laissait faire, comme un agneau qu'on mène à la boucherie, comme se laisse tondre une brebis. Mais par cette mort, il nous a engendrés à la vie. Elle fut la violence qui force la porte du ciel. Le chemin était tracé, nous n'avions plus qu'à le suivre.

Nous n'avions plus qu'à mourir aussi sur la Croix pour être entraînés dans la Résurrection. Le Christ nous a revêtus de sa Mort. Nous sommes inondés de son sang et tellement qu'on ne peut plus nous distinguer de Lui. Dieu ne voit plus qu'un seul Christ éternellement offert en holocauste sur la Croix. Et pour que nous soyons plus entièrement lui-même, Jésus nous a donné sa chair à manger, son sang à boire. Sa chair et la nôtre sont confondues. Il s'est fait notre Pain et nous sommes la terre que ce froment dévore.

Mon fils, j'ai fait de toi la chair du Christ. Te voici étendu sur une Croix, face au Père, exposé tout nu à l'inexorable amour.